Editorial -
Galaxies N° 69

Ce qui m’intéresse le plus, en SF, ce sont les gens, les personnages. Aliens, robots, humains, j’aime ce qui les rend semblables ou différents, de moi ou entre eux. Leurs émotions, leurs relations me fascinent. J’y vois une peinture de notre vécu subtilement modifié, ou carrément déformé, une métaphore de notre vie. Ado, je me suis, comme beaucoup, construite à partir des romans que je dévorais. Encore à présent, certaines thématiques m’attirent davantage, telles que l’enfance et la reproduction, l’identité (au point de réaliser des anthologies sur ces questions), le genre, la sexualité…
Il y a pas loin de trois ans, j’ai passé un coup de fil à Pierre Gévart et ça a donné quelque chose comme ça :
— Il y a de plus en plus de romans de SF qui parlent de sexualité et d’identités de genre, tu ne trouves pas ?— Oui.
— Il faudrait qu’on fasse un dossier sur le sujet, tu ne crois pas ?
— Oui.
— Bon, eh bien, je m’en charge, alors ?
— Oui.
Avouez qu’il y a plus contrariant comme rédacteur en chef [1] ! D’autant que, après m’être plongée dans des (re)lectures en nombre, je lui ai dit que je voudrais faire un numéro spécial, et qu’il m’a dit oui. Que tout compte fait, ça n’était pas un, mais deux numéros spéciaux, qu’il me faudrait, et qu’il m’a dit oui. Deux numéros spéciaux pour aborder une thématique dont je n’en finissais pas de découvrir à quel point elle était vaste. Et petit à petit, à mesure que je lisais, (re)découvrais, apprenais, discutais, les choses se mettaient en place. Et Patrice Lajoye qui devait préparer un dossier pour le numéro 69 a accepté d’échanger avec moi : « 69, Galaxies érotique », je ne pouvais pas résister !
Ça fait deux ans et demi que je me suis lancée dans ce projet Sexe, Genre & Science-Fiction (sur l’air de Sex & Drugs & Rock’n’Roll). J’ai recruté Samuel Minne, ïan Larue, Eva D Serves et Gabrielle Laurenceau, ainsi qu’Alice Daran et Sara Doke, et nous vous avons concocté un dossier sur ce thème passionnant, ambitieux, et impossible à traiter de façon exhaustive. C’est une introduction, il faudra y revenir. Il s’écrit de plus en plus d’histoires et de plus en plus de maisons d’édition s’intéressent à la SF féministe et/ou LGBT. Le lectorat réclame des livres reflétant sa diversité et un Salon des Imaginaires LGBTQI+, FantastiQueer, se développe à Strasbourg.
Il y aura deux numéros spéciaux. Celui-ci traite de sexe dans les littératures de l’Imaginaire, de corps et de sexualités exotiques, ainsi que d’identités LGBT+. Le second, qui devrait paraître dans six mois, explorera plus avant les genres, féminin, masculin, autres, leurs rapports parfois conflictuels, toujours en SF, bien entendu. Ces deux opus ne doivent pas être perçus comme séparés. Ils se renvoient l’un à l’autre et ne sont que les deux parties d’un tout, yin et yang. En clair : on parle aussi de genre dans le 69 et de sexualité dans le suivant !
Avertissement préalable, évident mais important : il est question de sexualité explicite. Galaxies n’est pas une revue porno, mais nous explorons la façon dont la science-fiction a abordé ou intégré le sexe au fil du temps.
J’avais demandé une illustration de couverture à Philippe Caza qui m’a proposé des dessins en tout genre, tenant compte de mes craintes et de mes espoirs – et un texte très drôle. L’humour est d’ailleurs le trait dominant de la plupart des nouvelles, et ïan Larue, toute universitaire qu’elle soit, nous prouve (au cas fort improbable où il y aurait un doute) qu’elle n’en est pas dépourvue. Le rire n’empêche pas de poser des questions, des enjeux de société, ce que font aussi bien Alpha Lëer que Jo Walton, chacune à sa façon. Un ton plus grave, pour Ceryan Dau comme pour Eva D Serves, avec des nouvelles émouvantes, poétiques. Quant à Francis Berthelot, notre invité d’honneur, l’histoire qu’il nous conte… chut ! Pas de spoiler !
Sous la plume de Jean-Guillaume Lanuque, Musique & SF rend hommage à David Bowie, musicien sexy, queer et de SF s’il en est, parti il y a cinq ans vers les étoiles. Enfin, le texte d’Albert Keim que Patrice Lajoye a sélectionné pour Outre Temps illustre aussi le sujet. À cause du manque de place, la biblio est reléguée dans le supplément numérique. Elle s’y trouve en bonne compagnie avec des nouvelles superbes d’Enzo Daumier et Olivier May, et des chroniques thématiques, de livres qui ne sont pas des nouveautés mais que nous aimons particulièrement.
Il me reste à remercier Pierre Gévart pour m’avoir laissé les rênes de la revue (pas de regrets ?). À présent : lisez !
Lucie Chenu