Editorial -
Galaxies N° 68

Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes en train d’entrer de plein fouet dans la deuxième vague de la pandémie, métaphore qui renvoie à ces lames géantes qui parcourent les océans et renversent comme des fétus les navires les plus puissants. Galaxies bien sûr n’est qu’un esquif, mais elle tient sur la crête de l’écume en louvoyant – vous le verrez tout le long de ce numéro – entre ce réel et l’imaginaire. Ce numéro 68, c’est aussi le premier de la nouvelle formule de Galaxies Mercury, avec en particulier l’introduction d’une nouvelle rubrique : Le Grand Article. Cette fois, nous avons justement décidé de consacrer celui-ci a la pandémie qui nous occupe, avec un texte de Jean-Michel Calvez, qui reprend en partie un article antérieur, écrit en 2018, mais largement complété cette année. Lors de notre dernière rencontre, avec Jean-Michel, nous étions tous deux associés à une table ronde sur la rencontre avec une vie extraterrestre. Quelqu’un a demandé : « que se passerait-il si une mission martienne ramenait sur terre une bactérie très dangereuse ? » Nous étions le 10 mars 2020, et j’avais répondu « Regardez la télévision, lisez les journaux, écoutez la radio dans les jours et les mois qui vont suivre, et vous aurez votre réponse ». Le thème de la pandémie, ou plus simplement de l’épidémie a été souvent traité par les auteurs de science-fiction, peut-être pour s’affranchir de la peur, un peu comme les enfants adorent qu’on leur raconte l’histoire du loup qui dévore le Petit Chaperon rouge. Mais cette fois, le loup est dans la bergerie.
Alors que cela fait du bien aussi de se changer complètement les idées, tout en ne transigeant pas sur notre passion pour l’imaginaire. En ce sens la nouvelle de Sylwen Norden, lauréat du palmarès du Prix le Bussy 2020, joue bien son rôle, tout comme le fait en dessins le voyage immobile de Bert Domeh.
Mais bien avant tous ces événements, nous avions pensé construire ce numéro autour d’un double anniversaire : celui de la naissance de Boris Vian, d’abord, et ensuite celui de la mort d’Alain le Bussy. Il y a donc cette année cent ans qu’est né Boris Vian, cette étoile filante de la littérature, de la musique, de la chanson, de la création française dont les livres, s’ils ne s’inscrivent pas formellement dans notre genre, en relèvent pourtant clairement. J’ai toujours placé L’Écume des Jours, L’Herbe rouge ou L’Arrache-Cœur au même niveau que les romans de Philippe K. Dick, que je dévorais en même temps. Vian, comme le montre Léa Grivoust dans son article, joue un rôle actif dans l’introduction de la science-fiction en France. Dès la fin des années 1940, avec la complicité active de Jean-Paul Sartre, il publie des traductions de ces textes extraordinaires (au sens propre !) qu’il découvre dans les pulp’s ramenés en France par les GI’s à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi grâce à lui que les romans de Van Vogt, Le Monde des Ã, Les Joueurs du à et La Fin du Ã, font irruption dans ce qui n’est pas encore mais va rapidement devenir le Fan-dom de la science-fiction en France. Vian va aussi participer à la publication dans la presse populaire d’une douzaine de traductions-adaptations de nouvelles parmi lesquelles nous reprenons le texte de Wallace West qui a été a publié dans France Dimanche dès 1952. Et puis, lui même s’est essayé à la SF, dans la mouvance du surréalisme, avec la nouvelle de 1950 que nous reprenons également.
Mais cette année est aussi celle d’un triste anniversaire, surtout pour nous qui nous comptions parmi ses amis proches : celle de la disparition d’Alain le Bussy. C’est en effet il y a dix ans que l’écrivain belge m’envoyait un mail me demandant de le représenter en Catalogne pour la remise d’un prix à un écrivain cubain (Yoss), en me précisant qu’il allait subir une intervention chirurgicale sans gravité et ne pourrait donc faire le déplacement. Malheureusement, l’intervention s’avéra plus grave et Alain n’y survécut pas. Il fallait à la fois le talent de Laurent Whale et la connaissance que possède Dominique Warfa de la science-fiction belge en général et de l’œuvre d’Alain le Bussy en particulier pour évoquer sa mémoire.
Vous avez donc entre les mains un numéro de Galaxies Mercury bien contrasté. Vous y trouverez aussi les articles, dont une nouvelle rubrique que Jean-Guillaume Lanuque consacre aux séries SF, une interview du critique de science-fiction Vassili Vladimirski qui, sollicité par Victoriya Lajoye, nous fait le point sur la production des auteurs russes aujourd’hui, et les livres et les films.
Alors mieux vaut que je vous laisse découvrir par vous-même, en vous souhaitant bonne lecture.
Bellaing,
26 octobre 2020
Pierre Gévart